L’essentiel en un coup d’œil :
Une pathologie complexe et sous-diagnostiquée : le trouble bipolaire touche 1 à 2 % de la population et reste fréquemment confondu avec la dépression unipolaire en médecine générale.
Des symptômes variés et changeants : alternance d’épisodes maniaques, dépressifs, mixtes ou hypomaniaques, avec un risque élevé de suicide sans traitement adapté.
Le rôle clé du médecin généraliste : il intervient au repérage (grâce à des outils comme le MDQ ou HCL-32), au suivi à long terme, et à la coordination avec le psychiatre.
Traitement à vie et suivi rigoureux : la stabilisation repose sur des médicaments (lithium, antipsychotiques…) et un accompagnement psychoéducatif.
Importance du lien avec le patient et son entourage : l’adhésion au traitement et la prévention des rechutes passent par une bonne information et l’implication de la famille.
Le saviez-vous ?
Si les changements d’humeur sont normaux, chez certaines personnes, ces épisodes de cyclothymie peuvent être disproportionnés et désorganiser leur vie sociale, personnelle et professionnelle. Dans ce cas, ces troubles, appelés bipolarité, sont pathologiques.
L’alternance des symptômes peut être spectaculaire, et osciller plus ou moins rapidement et fréquemment, entre hyperactivité, agressivité, absence d’inhibition, euphorie, et profonde tristesse, démotivation totale, accablement et mélancolie.
Si les troubles bipolaires se déclenchent généralement à l’adolescence ou au début de la vie d’adulte, ils peuvent aussi se manifester chez n’importe qui, n’importe quand, quel que soit son âge ou son sexe.
La bipolarité, anciennement connue sous les termes « maniaco-dépression » ou « psychose maniaco-dépressive », touche entre 1 et 2% de la population.
On considère qu’elle reste sous-diagnostiquée, notamment en médecine générale, où les symptômes sont parfois confondus avec la dépression unipolaire ou d’autres troubles du comportement, qu’elle peut déclencher, tels que le trouble du comportement alimentaire (TCA) ou les conduites addictives, qui peuvent aussi être des signes précoces de la maladie.
Et, ce qui complique encore la pose du diagnostic, c’est qu’en règle générale, les malades consultent lors des épisodes dépressifs, et rarement dans les périodes d’hyperactivité et d’euphorie.
Or, un retard de diagnostic peut entraîner des conséquences dramatiques pour votre patient : désinsertion socio-professionnelle, conduites dangereuses, risque suicidaire.
Alors, comment repérer et diagnostiquer les troubles bipolaires ? Quand orienter les patients vers le psychiatre, et quel suivi proposer aux bipolaires ?
C’est ce que nous verrons ci-après.
Comprendre le trouble bipolaire :
Définition :
La bipolarité est un trouble psychiatrique chronique caractérisé par une alternance plus ou moins brutale, d’épisodes dépressifs, et d’épisodes maniaques ou hypomaniaques, entrecoupés d’épisodes plus stables.
Ces épisodes varient en intensité, en fréquence et en durée, d’une personne à l’autre, allant de quelques heures à une année et plus.
Dans la plupart des cas, un malade, qui n’est pas diagnostiqué et traité, peut subir entre 8 et 10 cycles maniaco-dépressifs au cours de sa vie. Il peut même arriver qu’il présente plusieurs cycles sur une même année.
Au-delà de 4 cycles annuels, on parle d’ailleurs de maladie à cycles rapides.
Types de troubles bipolaires :
Le trouble bipolaire entraîne des émotions anormales, que le patient ne peut pas contrôler.
On distingue essentiellement deux types de troubles bipolaires :
- Le Type I, caractérisé par un ou plusieurs épisode(s) maniaque(s) franc(s) ou mixte(s), c’est à dire avec ou sans épisodes dépressifs majeurs.
- Le Type II, qui associe hypomanie et dépression majeure.
On peut y ajouter la cyclothymie, où les fluctuations de l’humeur sont moins intenses mais persistantes.
Physiopathologie et facteurs de risque :
Les troubles bipolaires sont dus à une combinaison de plusieurs facteurs, tels que :
- La prédisposition génétique : si l’influence des gènes est encore incertaine, le risque d’être atteint de bipolarité quand un parent proche en souffre ou en a souffert, est de 15 à 20%.
- La dérégulation neurobiologique : les dernières recherches mettent en lien un dérèglement biochimique du cerveau et une vulnérabilité au stress émotionnel et physique, dans la bipolarité.
- Les facteurs sociaux et environnementaux : stress, surmenage, alcoolo-dépendance, toxicomanie…
Si les premiers épisodes semblent être favorisés par des événements extérieurs, les suivants peuvent apparaître spontanément, sans déclencheurs particuliers.
Identifier les symptômes : sémiologie des phases.
Phase dépressive :
Elle regroupe les signes caractéristiques de la dépression unipolaire : tristesse persistante, ralentissement psychomoteur, idées noires, insomnie ou hypersomnie… d’où le risque d’erreur de diagnostic.
Plus la phase maniaque a été haute, plus la dépression sera profonde. On estime que la phase dépressive est en moyenne 2 à 3 fois plus longue que la phase maniaque.
Phase maniaque :
Elle regroupe l’exaltation de l’humeur, la logorrhée, des idées de grandeur, une diminution du sommeil, des comportements à risque, et peut inclure des éléments psychotiques.
Phase hypomaniaque :
Moins sévère que la crise maniaque, l’épisode hypomaniaque se déroule sans altération majeure du fonctionnement social ou professionnel du malade, qui perçoit souvent cette phase positivement.
On parle d’hypomanie quand les symptômes sont présents tous les jours pendant 4 jours minimum. On y retrouve la grande énergie, l’impulsivité, l’imprudence, l’irritabilité, et la joie extrême.
L’hypomanie est souvent un signe précoce de troubles bipolaires.
Phases mixtes :
Les phases mixtes comprennent des symptômes dépressifs et des symptômes maniaques simultanés : agitation, troubles du sommeil et de l’appétit, idées noires…
Elles sont parfois observées en fin de cycle maniaque et sont généralement annonciatrices du cycle dépressif.
Ces phases sont très instables, à haut risque suicidaire, et peuvent entraîner un retard diagnostique.
Diagnostic en médecine générale :
En général, les malades atteints d’un trouble bipolaire consultent lors de la phase dépressive. Ils n’évoquent pas spontanément les épisodes maniaques, soit qu’ils ne les ont pas repérés, soit qu’ils ont honte d’en parler, par peur d’être jugés.
Dans ces conditions, le retard de diagnostic est fréquent, et il faut parfois 3 ou 4 accès aigus pour identifier le trouble bipolaire.
Signes d’alerte en consultation :
Lors de vos consultations en médecine générale, les signes qui doivent vous alerter sont :
- Une dépression avant l’âge de 25 ans.
- Des épisodes dépressifs récurrents ou atypiques.
- Des antécédents personnels de traumatismes dans l’enfance.
- Des antécédents de tentatives de suicide (TS).
- Des antécédents familiaux de trouble bipolaire.
- Des réactions extrêmes au stress.
- L’échec répété d’antidépresseurs.
- Des fluctuations rapides de l’humeur ou une instabilité chronique.
Pour ce faire, l’interrogatoire que vous conduisez doit être complet et minutieux.
Entretien clinique approfondi :
L’entretien clinique doit vous permettre de :
- Rechercher systématiquement les antécédents thymiques (y compris périnataux), les événements déclencheurs, les troubles du sommeil, et la présence de co-pathologies (addiction, troubles anxieux…), qui sont souvent associées à la bipolarité.
- Écarter les maladies somatiques ou certains traitements pouvant induire des symptômes similaires : hypothyroïdie (fatigue, perte de l’élan vital, symptômes dépressifs…), hyperthyroïdie (insomnie, trop plein d’énergie, euphorie…), tumeur cérébrale, corticoïdes, amphétamines…
- Ou d’autres pathologies mentales : troubles délirants, de l’humeur, de la personnalité (borderline, paranoïa) ou schizophréniques (schizophrénie dysthymique).
Le diagnostic de bipolarité peut être posé après un épisode maniaque caractérisé, sans qu’un épisode dépressif ne soit nécessairement acté, notamment parce qu’il n’est pas systématiquement présent, en début de maladie.
Outils d’aide au repérage :
Les deux outils de pré-dépistage utilisés en médecine générale ou lors d’une consultation initiale sont :
Le Questionnaire MDQ (Mood Disorder Questionnaire) :
Il est utilisé en première ligne par les médecins généralistes et les psychiatres.
Il est composé de 13 items, auquel le patient répond lui-même.
Il est plus pertinent pour évaluer les symptômes et l’impact fonctionnel du trouble bipolaire de type 1.
Le HCL-32 (Hypomania Checklist – 32 items)
Il est surtout indiqué chez les malades en phase dépressive.
Il regroupe 32 questions qui permettent de distinguer la dépression unipolaire du trouble bipolaire, le but étant de détecter des épisodes d’hypomanie antérieurs.
Ces outils servent à l’orientation vers un bilan psychiatrique complet, au cours duquel le psychiatre conduit un entretien clinique approfondi, généralement structuré comme le Mini International Neuropsychiatric Interview (MINI), qui permet de repérer les troubles psychiatriques majeurs, dont les troubles bipolaires.
Tableau : Diagnostic différentiel
Traitement du trouble bipolaire : principes et précautions.
Traitements médicamenteux :
Le diagnostic de certitude est essentiel pour que le traitement mis en place soit adapté et débuté rapidement.
Les principaux traitements médicamenteux prescrits dans le cadre des troubles bipolaires sont les :
- Thymorégulateurs : Lithium (surveillance ++), Valproate de sodium, Carbamazépine.
- Antipsychotiques atypiques : Aripiprazole, Olanzapine, Quetiapine, Rispéridone, Lurasidone.
- Antidépresseurs : ils sont utilisés avec prudence, et en association avec un stabilisateur de l’humeur pour éviter un virage maniaque: ISRS (Sertraline, Fluoxétine).
Surveillance biologique et effets secondaires :
Selon la molécule prescrite, une surveillance biologique et des effets secondaires est nécessaire :
- Lithium : bilan rénal, ionogramme, TSH, ECG, suivi du taux plasmatique de lithium.
- Antipsychotiques : bilan lipidique, glycémie, surveillance du poids et de la tension artérielle.
Traitement non-médicamenteux :
Pour renforcer la prise en charge et accroître ses chances de réussite, vous recommandez :
- Un changement dans les habitudes de vie (alimentation, activités…).
- Une psychothérapie adaptée : TCC, thérapies interpersonnelles et sociales et/ou familiales, psychoéducation, gestion du stress et des émotions.
Sans traitement, les cycles se poursuivent, leur fréquence peut s’accélérer, l’intensité des épisodes, s’aggraver, et les symptômes, évoluer vers la « psychose ».
Les conduites à risque et les troubles du comportements peuvent lourdement impacter le quotidien du malade, et menacer sa vie ou celle des autres (bagarres, vandalisme, destruction du bien d’autrui…).
On estime que 25 % des bipolaires non traités font une ou plusieurs TS.
Le rôle du médecin généraliste dans le suivi :
En règle générale, une fois le trouble bipolaire diagnostiqué, un traitement de fond, à prendre à vie, est mis en place pour stabiliser l’humeur et réduire les épisodes de rechute.
En tant que médecin généraliste, votre rôle est crucial pour coordonner ce parcours de soins, souvent complexe, et le suivi de votre patient.
Vous intervenez essentiellement dans :
La coordination avec le psychiatre :
Vous assurez le relais thérapeutique, le suivi somatique, et procédez aux ajustements si besoin.
Surveillance de l’observance :
Vous initiez une surveillance des effets secondaires et des freins éventuels (attitudes de déni, abandon du traitement, qui sont fréquents dans ce type de pathologies, notamment quand le malade se sent mieux).
Suivi à long terme :
Sur le plus long terme, vous contrôlez régulièrement la qualité du sommeil, évaluez les comorbidités (TCA, abus de substances psychoactives licites et illicites…), et demandez à votre patient de consigner ses humeurs dans un journal, qu’il apporte à chaque consultation.
Orientation et situations à adresser au spécialiste :
Bien sûr, en cas de doute ou en présence de cas complexes, vous orientez votre patient vers un psychiatre ou un professionnel spécialisé.
Parmi les motifs d’orientation, on retrouve :
- Les difficultés de diagnostic (difficile ou incertain).
- Le risque suicidaire ou l’épisode maniaque aigu.
- L’absence de réponse aux thymorégulateurs.
- La nécessité de mettre en place une prise en charge pluriprofessionnelle (psychologique, sociale, addictologie).
Communication avec le patient et son entourage :
L’information et l’éducation auprès du patient, mais aussi de sa famille, sont indispensables pour mener à bien cette prise en charge.
Pour cela, vous devez :
- Expliquer la nature cyclique de la maladie.
- Aborder les représentations de la maladie et la stigmatisation.
- Encourager la continuité thérapeutique et la gestion autonome (journal d’humeur, hygiène de vie).
- Intégrer les proches dans la stratégie de prévention des rechutes, et leur apporter un soutien psychologique.
Pour conclure...
Le trouble bipolaire est une pathologie complexe, qu’il est encore difficile de repérer, sauf en présence d’un accès maniaque caractérisé.
En tant que médecin généraliste, votre rôle est déterminant dans le repérage des signes d’alerte.
Pour cela, vous disposez de certains outils spécifiques au pré-diagnostic des troubles bipolaires.
Les intégrer à votre pratique vous permet de les détecter et d’orienter précocement et efficacement votre patient vers le spécialiste approprié.
Mais, votre rôle ne s’arrête pas là : une fois le traitement de fond mis en place, vous relayez et travaillez en étroite collaboration avec le psychiatre, et les différents autres intervenants, pour coordonner le parcours de soins, évaluer l’efficacité des actions thérapeutiques mises en place, les réajuster au besoin, et assurer un suivi régulier à votre patient.
Le but étant d’intégrer dans la prise en charge l’entourage, qui subit aussi les conséquences de la maladie de son proche, et d’obtenir l’adhésion et la participation active du patient dans son programme de soins, souvent lourd, afin de prévenir les complications et les rechutes.
Pour terminer, que pensez-vous de votre implication dans le repérage précoce des troubles bipolaires ?
Prenez-vous en charge ce type de malades ?
Que vous manque-t-il pour optimiser leur suivi ?
Enfin, si vous avez trouvé cet article utile, partagez-le autour de vous.
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