Endométriose : quel rôle pour le médecin généraliste dans le parcours de soins ?

L’essentiel en un coup d’œil :

  • Premiers signes à repérer en médecine générale : Dysménorrhées intenses, douleurs cycliques digestives ou urinaires, dyspareunie, fatigue. Un faisceau d’indices évocateurs doit alerter, même sans imagerie anormale.

  • Diagnostic clinique structuré : Interrogatoire ciblé, examen abdomino-pelvien, échographie pelvienne en première intention — à prescrire même si elle peut être normale.

  • Traitement de première ligne possible en ville : Contraception hormonale continue + antalgie multimodale + réévaluation à 6–12 semaines avant éventuelle orientation.

  • Critères d’orientation spécialisée : Douleurs résistantes, projet de grossesse, suspicion d’endométriose profonde → gynécologue formé ou centre expert selon la gravité.

  • Rôle clé du médecin généraliste : Piloter le parcours, éviter l’errance diagnostique, coordonner les acteurs (sage-femme, kiné, centre douleur, AMP) et accompagner sur le long terme.

Le saviez-vous ?

L’endométriose est une maladie fréquente et encore trop souvent sous-estimée. Touchant environ une femme sur dix, elle s’exprime par des douleurs pelviennes récurrentes, cycliques, parfois diffuses, et qui évoluent en silence pendant des années.

Pour beaucoup de patientes, ces douleurs ont été normalisées ou minimisées, retardant le diagnostic en moyenne de sept ans. Ce délai, qui n’est pas anodin, pèse sur la qualité de vie, la santé mentale et parfois la fertilité.

Dans ce parcours souvent complexe, le médecin généraliste occupe une place déterminante : il est le premier à entendre ce que la patiente répète depuis longtemps sans toujours être entendue.

Des règles douloureuses, un transit qui se dérègle chaque mois, une fatigue persistante, une douleur qui s’invite dans la vie intime : autant de signaux qui, mis ensemble, tracent une trajectoire clinique cohérente.

 

Reconnaître ces signes, ne pas les banaliser, structurer un bilan et orienter au bon moment permet d’éviter des années d’errance.

 

Alors quel est le rôle du médecin généraliste en soins primaires ? Quelles sont les étapes qui composent le parcours endométriose ? Quand orienter et vers qui ?

 

C’est ce que nous verrons ensemble aujourd’hui.

Parcours de soins : étape par étape

Étape 1 – Repérage en MG

Le repérage repose essentiellement sur la clinique.


Les recommandations HAS-CNGOF invitent à interroger systématiquement toute patiente présentant des douleurs pelviennes invalidantes.

 

Les signes évocateurs à rechercher sont :

  • Des dysménorrhées intenses, récidivantes, résistantes aux antalgiques classiques
  • Une dyspareunie profonde
  • Des douleurs pelviennes chroniques ou cyclo-dépendantes
  • Des troubles digestifs cycliques : diarrhées, constipation, ballonnements, rectorragies pendant les règles
  • Des troubles urinaires cycliques : dysurie, brûlures urinaires, hématurie cyclique
  • Une fatigue marquée, une altération du sommeil, des symptômes fluctuants.

 

Points essentiels :


Il faut :

  • Rechercherla cyclicité des symptômes (élément majeur d’orientation).
  • Évaluer leretentissement fonctionnel : absences scolaires, arrêts de travail, limitation sportive ou sexuelle.
  • Identifier les comorbidités pertinentes : syndrome de l’intestin irritable, troubles urinaires, migraines, fatigue chronique.

 

L’objectif n’est pas d’établir un diagnostic définitif à ce stade, mais d’ouvrir la porte au bon parcours.

 

Questions clés en consultation :

·      Les douleurs suivent-elles le cycle ?

·      Limitent-elles les activités, l’école ou le travail ?

·      Existe-t-il des douleurs pendant les rapports sexuels ?

·      Les troubles digestifs ou urinaires apparaissent-ils uniquement pendant les règles ?

·      Y a-t-il des antécédents familiaux d’endométriose ?

 

 

Étape 2 – Examen clinique

En soins primaires, l’examen clinique est simple et orienté. Il permet de guider la suite de la prise en charge :

  • Palpation abdominale : recherche des zones douloureuses, des signes de défense
  • Recherche des points douloureux pelviens
  • Examen gynécologique : idéalement réalisé par le médecin généraliste s’il est formé, sinon orientation vers la sage-femme formée.

 

Même si l’examen est normal — ce qui est fréquent dans les formes superficielles — le diagnostic d’endométriose ne doit pas être exclu.

 

Étape 3 – Examens complémentaires

Certains examens peuvent être prescrits pour confirmer le diagnostic :

 

L’échographie pelvienne :

L’échographie — de préférence endovaginale — est l’examen de première intention recommandé par la HAS.

Elle est prescrite par le médecin généraliste, et idéalement réalisée par un opérateur expérimenté car la sensibilité dépend largement de l’expertise.


Une échographie normale n’exclut jamais la maladie, notamment en cas d’atteinte superficielle ou de lésions non visibles.

 

L’IRM pelvienne :

Elle est particulièrement indiquée :

  • en cas de suspicion d’endométriose profonde
  • sur demande d’un spécialiste
  • en préopératoire.

 

Étape 4 – Traitement initial


Le médecin généraliste peut débuter le traitement dès la première consultation.

Le traitement de première intention est la contraception hormonale continue, recommandée pour réduire la douleur et l’inflammation.

 

D’autres traitements complètent la prise en charge :

  • L’antalgie multimodale adaptée
  • Les approches complémentaires validées
  • L’éducation thérapeutique.

 

Étape 5 – Réévaluation

La réévaluation se fait à  6-12 semaines. Cela permet de mesurer l’efficacité du traitement hormonal, la tolérance, l’impact sur la douleur, le sommeil, la sexualité, le travail, et d’opérer les ajustements nécessaires.

 

Étape 6 – Orientation spécialisée

Le médecin généraliste oriente rapidement vers un gynécologue formé :

  • Si la douleur persiste malgré un traitement initial bien conduit
  • Si la patiente exprime un désir de grossesse
  • Si l’échographie montre des signes suspects
  • Si la dyspareunie ou la dyschésie sont sévères.

 

La consultation doit idéalement avoir lieu dans les trois mois pour éviter de prolonger l’errance.

 

Étape 7 – Accès centre expert

Le recours aux centres experts est indiqué en cas de :

  • Suspicion d’atteinte multi-organique (rein, digestif, nerfs)
  • Douleurs réfractaires
  • Chirurgie complexe.

 

Le centre expert assure l’imagerie haute expertise, la consultation pluridisciplinaire (RCP), la chirurgie spécialisée, la coordination (douleur, diététique, psychologue).

Diagnostic différentiel structuré

Pathologie

 

Signes distinctifs

Points d’orientation

Adénomyose

Dysménorrhée, ménorragie, utérus globuleux

 

Échographie / IRM, douleurs plus diffuses.

SOPK

Cycles irréguliers, ovaires micropolykystiques

 

Troubles ovulatoires, hyperandrogénie.

Syndrome de l’intestin irritable

Douleurs digestives non cycliques

Alternance du transit (diarrhée / constipation), lien avec le stress et l’alimentation.

 

MICI

Diarrhée chronique, CRP élevée

 

Rectorragies, amaigrissement.

Cystite interstitielle

Pollakiurie, brûlures urinaires non cycliques

 

ECBU négatif répété.

Névralgie pudendale

Douleur en position assise, trajet nerveux

 

Soulagement en position assise sur les toilettes.

Red flags

Les principaux signes d’alerte sont d’ordre :

 

Digestifs

  • Rectorragies cycliques
  • Crises pseudo-occlusives
  • Dyschésie invalidante.

 

Urinaires

  • Hématurie cyclique
  • Hydronéphrose suspecte.

 

Gynécologiques

  • Masse annexielle douloureuse
  • Douleur aiguë inhabituelle.

 

En présence d’un red flag, l’orientation vers un centre expert doit être immédiate.

Traitement initial en médecine générale

Contraception hormonale

Le traitement de première intention est hormonal. Il est essentiellement indiqué chez les jeunes femmes n’envisageant pas de grossesse dans l’immédiat. Il permet de réduire la douleur, limiter les poussées inflammatoires, stabiliser les lésions.

 

On y retrouve essentiellement les :

  • Oestro-progestatifs en continu
  • Progestatifs seuls
  • Dispositifs intra-utérin (DIU) : lévonorgestrel.

 

Prise en charge de la douleur

L’antalgie repose sur :

  • Les AINS : lors des règles ou en anticipation
  • Les antalgiques adaptés à l’intensité de la douleur
  • Le traitement des douleurs neuropathiques (DN4 positif)
  • La kinésithérapie pelvienne, la rééducation périnéale
  • Les techniques psychocorporelles validées : TCC, sophrologie, relaxation.

 

Éducation thérapeutique

Elle permet de :

  • Expliquer la maladie
  • Déculpabiliser les femmes
  • Fixer des objectifs réalistes
  • Apporter les conseils hygiéno-diététiques simples (activités physiques adaptées, gestion du stress)
  • Accompagner la sexualité.

Coordination et filière de soins

L’endométriose est une maladie chronique multifactorielle qui nécessite une approche pluridisciplinaire et un parcours coordonné.

 

Professionnels impliqués

Les différents professionnels potentiellement impliqués dans le parcours de soins de l’endométriose sont les :

  • Médecins généralistes — qui pilotent le parcours
  • Gynécologues formés
  • Radiologues spécialisés
  • Sages-femmes
  • Kinésithérapeutes pelviens
  • Centres de la douleur
  • Psychologues
  • Diététiciens.

 

Outils

Les outils clés du parcours de soins sont :

  • Le DMP pour le partage sécurisé des données
  • Les réseaux ARS
  • Les filières Endomind / EndoFrance
  • La RCP en centres experts pour les situations complexes.

 

Le médecin généraliste en est le pivot : il relie les intervenants entre eux, alimente le DMP et oriente vers les associations quand cela est nécessaire.

 

Tableau – Orientation MG → Gynécologue → Centre expert

 

Situation clinique

Orientation recommandée

Délai conseillé

 

Douleurs cycliques évocatrices, pas d’imagerie

 

MG -> échographie

Immédiat.

Échographie normale mais symptômes forts

 

MG -> gynécologue

< 3 mois.

Suspicion d’atteinte profonde

 

MG -> gynécologue formé

< 1 mois.

Dyspareunie sévère, dyschésie importante

 

MG -> gynécologue formé ou centre expert

Selon sévérité.

Atteinte digestive ou urinaire suspectée

 

MG -> centre expert

Prioritaire.

Projet de grossesse non abouti

 

MG -> gynécologue, AMP

Dès le constat.

Échec des traitements médicaux

 

MG -> gynécologue / centre expert

< 3 mois.

Suivi en soins primaires

La politique nationale en faveur de l’endométriose a structuré des filières régionales associant centres experts, imagerie spécialisée, structures douleur et assistance médicale à la procréation (AMP).

Le médecin généraliste y joue un rôle clé du repérage à la coordination.

 

Suivi hormonal

Il consiste à évaluer l’efficacité, la tolérance, l’observance, et les effets indésirables des traitements hormonaux.

 

Suivi fonctionnel

Il mesure le retentissement sur la vie quotidienne, les activités, le travail, la sexualité, le sommeil, la fatigue, et permet d’ajuster la prise en charge non médicamenteuse.

 

Fertilité

Le médecin généraliste accompagne les projets de grossesse et travaille en étroite collaboration avec l’assistance médicale à la procréation en cas de problème de fertilité.

Situations nécessitant réévaluation ou réorientation

Certaines situations nécessitent une réévaluation ou une réorientation :

  • L’échec thérapeutique
  • L’aggravation ou l’apparition de nouveaux symptômes
  • La suspicion d’une atteinte profonde
  • Le projet de grossesse.

Structures spécialisées

Les centres experts endométriose assurent :

  • Des consultations spécialisées
  • Une imagerie de haute expertise
  • Les interventions complexes par des chirurgiens spécialisés
  • Les RCP pluridisciplinaires
  • La prise en charge globale.

FAQ

Une échographie normale exclut-elle l’endométriose ?

Non. Les formes superficielles échappent souvent à l’imagerie.

 

Quelle contraception proposer en première intention ?

La HAS recommande une contraception hormonale continue en première intention.

 

Quand adresser en centre expert ?

En cas de suspicion d’atteinte profonde, de douleurs majeures résistantes, d’infertilité, de symptômes digestifs ou urinaires cycliques.

 

Le MG peut-il assurer seul le suivi ?

Oui, en coordination avec un spécialiste selon la sévérité.

 

Quels professionnels peuvent aider la patiente ?

Kinésithérapeutes pelviens, psychologues, diététiciens, sages-femmes, centres de la douleur.

Pour conclure...

Le médecin généraliste est le point d’ancrage du parcours endométriose. C’est lui qui repère les premiers signes, qui initie le traitement, qui coordonne les étapes suivantes et qui accompagne les patientes dans la durée.

 

En appliquant une démarche claire — repérage, traitement initial, réévaluation et orientation raisonnée — il contribue à réduire l’errance diagnostique et à améliorer significativement la qualité de vie.

 

Au-delà des recommandations, ce rôle s’appuie sur quelque chose d’essentiel : la capacité à écouter et à reconnaître la souffrance lorsqu’elle se présente sous des formes banales, répétées, parfois normalisées.

Donner un cadre, un cap, une cohérence au parcours, c’est déjà répondre à une attente forte de ces patientes qui ont avancé trop longtemps seules.

 

L’enjeu est majeur : garantir à chaque femme un accès rapide à un diagnostic fiable, à une prise en charge adaptée et à un accompagnement continu.

Une prise en charge structurée, coordonnée et attentive permet de transformer un parcours d’incertitudes en un chemin de soins lisible et soutenant.

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