autisme chez la femme

Autisme chez la femme : mieux comprendre pour mieux repérer

L’essentiel en un coup d’œil :

  • L’autisme féminin reste largement sous-diagnostiqué : Les outils et critères actuels, basés sur des profils masculins, ne tiennent pas compte du phénotype féminin. Les femmes sont souvent diagnostiquées à l’âge adulte après des années d’errance médicale.

  • Des manifestations plus subtiles : Camouflage social, routines invisibles, hypersensibilités sensorielles, troubles anxieux ou alimentaires masquent souvent les signes typiques du TSA.

  • Diagnostic souvent tardif mais libérateur : Souvent posé à l’occasion d’un burn-out ou d’un changement de vie, il permet de comprendre son fonctionnement, de mieux se connaître et d’accéder à un accompagnement adapté.

  • Les médecins jouent un rôle clé : Écoute active, valorisation du vécu subjectif, orientation vers des professionnels formés sont essentiels pour poser un diagnostic juste.

  • Des ressources existent pour se former et mieux accompagner : CRA, FFA, webinaires, formations DPC… Autant d’outils pour améliorer la reconnaissance et l’accompagnement des femmes autistes.

Le saviez-vous ?

En France, on estime que 700 000 à 1 million de personnes vivent avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA), soit près de 1 % de la population.

Pourtant, une grande partie des femmes autistes échappent encore au diagnostic.

Non pas parce qu’elles sont moins concernées par l’autisme, mais parce que leur profil est méconnu, souvent invisible, ou encore mal interprété.

À 7 ans, le ratio de diagnostic est de 3,7 garçons pour 1 fille. Ce déséquilibre tend à s’atténuer avec l’âge, mais reste révélateur de la problématique actuelle puisque les femmes ne sont diagnostiquées qu’à l’âge adulte, après des années d’errance médicale, de souffrance psychique ou de diagnostics erronés.

Le tableau clinique classique, historiquement construit à partir d’observations masculines, est en partie responsable de ce retard de diagnostic. Qui plus est, les outils, les critères, les tests standardisés ne prennent pas en compte la spécificité du phénotype autistique féminin.

Aujourd’hui, les études récentes appellent les professionnels du soin à adapter leurs grilles de lecture pour mieux repérer l’autisme féminin.

Alors concrètement, que pouvez-vous faire pour mieux identifier et accompagner vos patientes autistes ?  

C’est ce que nous verrons ci-après.

Pourquoi l’autisme féminin est-il encore invisible ?

La principale cause de retard de diagnostic concerne les biais de genre structurels.

Même si dans sa dernière édition, le DSM-5, manuel de référence en psychiatrie, a élargi les critères diagnostiques, il n’aborde pas spécifiquement le phénotype féminin, la construction sociale genrée, et les différences biologiques.

Par ailleurs, les outils de repérage comme l’ADOS ou l’ADI-R sont eux aussi étalonnés sur des profils masculins, et donc moins pertinents pour évaluer les femmes.

Le diagnostic est d’autant plus difficile à poser que les femmes présentent des intérêts spécifiques plus discrets, et qu’elles ont tendance à développer des stratégies de compensation pour faire illusion et s’insérer : camouflage (ou Masking), mimétisme social, adaptation forcée… au prix d’une immense fatigue psychique.

À cela s’ajoutent des comorbidités fréquentes : troubles anxieux, dépression, anorexie, troubles dissociatifs, phobies sociales, qui masquent le tableau autistique principal. Ces patientes peuvent être ballottées de diagnostic en diagnostic sans que l’hypothèse autistique ne soit même évoquée.

Pour résumer, le sous-diagnostic de l’autisme féminin est principalement dû à :

–       Une différence dans l’expression des caractéristiques.

–       L’inadaptation des outils diagnostiques.

–       Des critères d’observation majoritairement masculins.

–       L’association de pathologies qui masque le diagnostic principal.

 

Manifestations spécifiques de l’autisme chez la femme

Les femmes autistes présentent souvent un profil clinique plus subtil, souvent loin de l’idée que l’on se fait du TSA. Pourtant, leurs difficultés sont bien réelles et elles souffrent autant que les hommes.

Les principaux symptômes autistiques chez les femmes sont :

  1. Communication sociale

  • Sentiment d’être en décalage, sans pouvoir l’expliquer.
  • Difficulté à entretenir des amitiés durables.
  • Langage littéral, parfois trop formel.
  • Hyperpolitesse, peur de déplaire, d’être jugée.
  • Anxiété sociale majeure, surtout en groupe.

 

  1. Stratégies de camouflage

  • Observation constante des codes sociaux.
  • Imitation des attitudes, mimiques, intonations.
  • Préparation mentale des conversations.
  • Fatigue extrême après les interactions.
  • Burn-out social, parfois invalidant.

 

  1. Intérêts spécifiques et routines

  • Intérêts intenses mais socialement acceptables (mode, psychologie, animaux).
  • Pensées en boucle, rigidité cognitive.
  • Routines mentales, besoin de contrôle.
  • Rituels invisibles (phrases répétées mentalement, habitudes alimentaires…).

 

  1. Hypersensibilités sensorielles

  • Intolérance aux bruits, lumières vives, odeurs, textures (étiquettes, vêtements trop serrés…).
  • Refus d’aliments pour des raisons sensorielles.
  • Difficulté à filtrer les stimuli externes.
  • Hypersensibilité émotionnelle (pleurs fréquents, irritabilité).

 

  1. Comorbidités fréquentes

  • Troubles anxieux, phobie sociale, TOC, dépression.
  • Troubles du comportement alimentaire, et plus particulièrement l’anorexie restrictive (souvent associée à un TSA chez les adolescentes).
  • Fatigue chronique.
  • Troubles du sommeil.
  • Fibromyalgie.
  • Automutilations, idées suicidaires.

Diagnostic de l’autisme chez la femme : un parcours souvent tardif

Contrairement aux hommes, les femmes sont rarement diagnostiquées dans l’enfance, mais plutôt à l’adolescence ou à l’âge adulte, parfois même après 30, 40 ou 50 ans.

L’hypothèse diagnostique est souvent soulevée quand un changement dans le mode de vie vient perturber l’équilibre fragile qu’elle avait su établir :

–       Rupture affective.

–       Épuisement professionnel.

–       Maternité difficile.

–       Naissance d’un enfant autiste (effet miroir).

–       Burn-out ou crise existentielle.

Pour beaucoup, ce diagnostic, même tardif, est un soulagement. Il permet de comprendre enfin les décalages ressentis depuis toujours, de se réapproprier son identité, et d’ouvrir la voie à un accompagnement plus adapté.

Où en est la Recherche ?

Depuis une dizaine d’années, les travaux se multiplient pour décrire les caractéristiques spécifiques de l’autisme féminin. Grâce à la mobilisation des différents acteurs, certaines caractéristiques féminines ont déjà pu être mises en lumière :

·      Intérêts spécifiques plus discrets ou socialement normés (mode, psychologie, animaux, littérature…) ;

·      Motivation sociale plus élevée malgré des difficultés d’interaction ;

·      Meilleure communication non-verbale en apparence ;

·      Hyperadaptation au milieu scolaire ou professionnel (au prix d’un effondrement hors contexte) ;

·      Hypersensibilités sensorielles fortes mais non exprimées verbalement ;

·      Traitement différent de l’information (hyperanalyse, mentalisation fine mais anxieuse) ;

·      Burn-out autistique plus fréquent, mais plus silencieux.

Le phénotype autistique féminin est toujours en cours d’exploration. Des études de neuroimagerie évoquent des activations cérébrales distinctes, mais aucun marqueur neurobiologique ne permet de poser le diagnostic.

 

Outils et stratégies pour un diagnostic plus juste

Nous l’avons vu, parce qu’ils ont été conçus à partir de profils masculins, les outils standards ne suffisent pas. Pour repérer un TSA féminin, il faut :

–      Adopter une écoute clinique active, centrée sur le récit subjectif, l’histoire développementale, le parcours scolaire, relationnel et sensoriel.

–      Utiliser des outils complémentaires comme le :

  • RAADS-R (questionnaire d’auto-évaluation validé chez l’adulte).
  • CAT-Q (mesure du camouflage).
  • AQ-adultes, en complément d’entretiens cliniques.

–      Proposer une évaluation pluridisciplinaire (psychiatre, psychologue, neuropsychologue, orthophoniste), chacun apportant un éclairage spécifique, utile à la compréhension globale du profil.

 

L’ensemble du ressenti personnel, des comportements adaptatifs et des difficultés internes doit être évalué au cours de l’entretien pour ne pas passer à côté du diagnostic et des répercussions du TSA sur le quotidien de vos patientes.

 

 

Ce que change un diagnostic (même tardif)

Obtenir un diagnostic bien posé, même tardivement, change la vie de votre patiente autiste. Il lui permet :

–      De comprendre enfin son fonctionnement, sans culpabilité.

–      D’accéder à un accompagnement personnalisé : thérapies d’acceptation de soi, coaching TSA, soutien professionnel, aide sociale…

–      De prévenir l’épuisement, l’isolement, le burn-out et les autres troubles secondaires.

–      De valoriser ses forces : sens moral, créativité, hyperfocalisation, intuition sociale fine malgré les apparences.

Difficultés spécifiques vécues par les femmes autistes

Les femmes autistes font face à une sur-adaptation permanente pour paraître « normales », surtout dans le monde professionnel ou affectif.

Elles doivent être à l’image de ce que la société attend d’elles : performantes, sociables, disponibles émotionnellement … alors même que leur fonctionnement les empêche de maintenir des interactions sociales stables ou intuitives. Ce décalage peut créer des malentendus, parfois graves.

Certaines d’entre elles sont d’ailleurs victimes de violences conjugales (emprise), de harcèlement professionnel (comportement mal interprété) voire d’exclusion sociale.

Cette charge mentale invisible, ajoutée à l’absence de reconnaissance, peut mener à un effondrement psychique : anxiété extrême, désorganisation fonctionnelle, idées suicidaires.

Accompagner une femme autiste : conseils aux professionnels

Alors pour mieux accompagner ces femmes en souffrance, vos missions, en tant que médecin généraliste, consistent à :

–      Être attentif aux signes atypiques : camouflage, anxiété inexpliquée, intérêts intenses, décalage social.

–      Être à l’écoute, empathique, bienveillant et non stigmatisant.

–      Valoriser le discours subjectif et à dépasser les apparences.

–      Coconstruire le projet de soins avec votre patient, en le basant sur des adaptations concrètes : souplesse des horaires, lieu apaisant, repères visuels …

–      Orienter vers des professionnels formés aux profils autistiques féminins et des structures adaptées (CMP, CRA).

–      Collaborer avec la médecine du travail : adaptation des conditions de travail, aménagement du poste…

Ressources utiles et associations spécialisées

Différentes ressources vous permettent d’affiner vos pratiques.

Les associations spécialisées et groupes de paroles :

–      L’ AFFA (Association Francophone de Femmes Autistes) : informations, témoignages, entraide.

–      Les CRA (Centres Ressources Autisme) : évaluation, diagnostic, orientation, formation.

–      Les groupes de parole et communautés en ligne : Autisme au féminin, Femmes TSA, Autistes sans clichés, Forum Asperansa, compte Instagram de Julie Dachez : @julie.dachez…

Les livres à recommander :

  • Livres témoignages: « Pretending to be normal » de Liane Holliday Willey, ou « La différence invisible » de Julie Dachez et Mademoiselle Caroline.
  • Approches théoriques: « Aspergirls » de Rudy Simone, « Le cerveau autiste au féminin » de Brigitte Harrison (+ ses capsules sur sa page Facebook « SACCADE, Centre d’expertise en autisme »).

Les webinaires et journées de sensibilisation :

Beaucoup sont proposés par les CRA, certaines ARS ou des associations comme Autisme France, FFA…

La formation continue :

Les formations DPC intègrent de plus en plus les spécificités du TSA féminin, notamment dans les modules sur le repérage précoce, les troubles du neurodéveloppement, ou les troubles anxiodépressifs résistants. Se former régulièrement est indispensable pour mettre à jour ses connaissances sur un sujet encore trop peu connu.

Pour conclure...

L’autisme chez les femmes reste encore largement méconnu et sous-diagnostiqué. Pourtant, les signes sont là : discrets, souvent camouflés, mais bien réels.

La clinique évolue, la recherche avance, et les professionnels changent leur regard et leurs repères. Pour ne plus passer à côté du diagnostic. Pour permettre à ces femmes d’être reconnues, accompagnées, et de ne plus souffrir seules et en silence.

Diagnostiquer une femme autiste, c’est lui redonner le droit d’être elle-même. C’est lever le voile sur des années d’incompréhension, et ouvrir une voie vers la reconnaissance, la sérénité et l’autonomie.

Alors, soyez attentif, observez, écoutez, collaborez, et formez-vous.

Avez-vous déjà diagnostiqué un autisme féminin ?

Quelles difficultés avez-vous rencontré ?

Quels conseils donneriez-vous à vos collègues moins aguerris ?

Enfin, si vous avez trouvé cet article utile, n’hésitez pas à le partager autour de vous.

Sources : 

CRA

AFFA

SACCADE