L’essentiel en un coup d’œil :
Le cancer pédiatrique est rare mais grave : première cause de mortalité chez l’enfant de plus d’un an, avec 2 300 cas/an en France et un taux de survie à 5 ans de 80–85 %.
Des symptômes souvent trompeurs : fatigue persistante, fièvre inexpliquée, douleurs osseuses, céphalées matinales… Leur banalité retarde parfois le diagnostic.
Signes d’alerte à repérer sans délai : masses palpables, troubles neurologiques, leucocorie, anémie, ou évolution inhabituelle de symptômes > 15 jours.
Urgences oncologiques à connaître : compression médullaire, hyperleucocytose, syndrome cave supérieur… nécessitent une orientation immédiate.
Le généraliste joue un rôle pivot : repérage, examens initiaux, orientation rapide et accompagnement des familles tout au long du parcours de soins.
Le saviez-vous ?
Fatigue, fièvre, adénopathie, douleur, vomissements, trouble de la vue… derrière ces symptômes habituels, presque banals, qui font surtout penser à une maladie infantile classique, se cache peut-être une maladie bien plus grave : le cancer.
Il existe une centaine de types de cancers pédiatriques qui nécessitent des traitements spécifiques et une approche thérapeutique différente.
Bien qu’il soit rare, il n’en demeure pas moins la première cause de mortalité chez l’enfant âgé de plus d’un an.
Si les progrès permettent à près de 85% de enfants de survivre au-delà de 5 ans, 15% continuent d’en mourir chaque jour.
Certains cancers, comme le gliome infiltrant du tronc cérébral, restent agressifs et très difficiles à traiter ; d’autres évoluent en silence ou de manière atypique, retardant le diagnostic.
Qui plus est, les causes de cancers pédiatriques sont encore très mal connues et la maladie n’évolue pas de la même manière que chez l’adulte.
Alors le diagnostiquer précocement reste un défi, même pour l’œil expert d’un médecin généraliste, habitué à repérer les signaux évocateurs d’un problème grave.
Or, plus il est détecté tôt, meilleur est le pronostic. Il est donc indispensable de repérer rapidement les signes d’alerte pour sauver les 7 enfants et adolescents à qui l’on diagnostique chaque jour un cancer.
Alors, pour vous aider à y voir plus clair, nous allons refaire un point sur ces signaux d’alerte et sur votre rôle en consultation de médecine générale.
Spécificités du cancer chez l’enfant
Différences avec les cancers de l’adulte :
Chez l’enfant, le cancer apparait souvent brutalement.
On diagnostique moins de cancers épithéliaux mais plus de leucémies, de lymphomes et de tumeurs solides spécifiques.
Enfin, contrairement à l’adulte, il n’y a pas de dépistage systématique pour repérer le cancer chez l’enfant.
Les causes de cancers chez l’enfant :
Elles sont multifactorielles.
On retrouve un lien avec des facteurs environnementaux ou génétiques dans près de 5% des cas, même si leurs rôles relèveraient surtout du hasard.
En revanche, le risque de développer une leucémie est majoré chez l’enfant atteint de trisomie 21.
Quant aux facteurs héréditaires, on les retrouve dans 5% des cas.
Par exemple, le rétinoblastome fait partie de ces cancers pouvant être induits par l’hérédité.
Statistiques clés en France :
En France, environ 2 200 à 2 300 nouveaux cas de cancers pédiatriques sont diagnostiqués chaque année.
| Enfants de moins de 15 ans : | Adolescents âgés de 15 à 17 ans :
|
Nombre de cas : | + de 1800 cas / an. | +/- 440 cas / an.
|
Taux de survie à 5 ans : | 85 % à 5 ans 92% 1 an après le diagnostic.
| 82 % à 5 ans 94% 1 an après le diagnostic. |
Principaux cancers : | Leucémies : 29% Tumeurs du SNC : 27% Lymphomes : 15%. | Lymphomes : 29% (77% de maladies de Hodgkin) Tumeurs du SNC : 17% Leucémies : 15%. |
En plus des 440 cas de cancers diagnostiqués chez les 15 à 17 ans, on en recense 460 chez les 18-19 ans, et 400 supplémentaires chez les 20-24 ans, soit une moyenne de 2 300 cancers chez les AJA (Adolescents et Jeunes Adultes).
Diagnostiqué précocement et pris en charge rapidement, le taux de guérison à 5 ans est supérieur à 80 %. Le taux de survie dépend du type et de l’étendue du cancer au moment du diagnostic.
Chaque année, 450 enfants et adolescents meurent encore d’un cancer
Types de cancers pédiatriques les plus fréquents :
Types de cancer : | Âge prédominant : | Signes évocateurs clés :
| Chiffres clés : |
Leucémies :
Leucémies aigues :
LAL : leucémie aiguë lymphoblastique
LAM : leucémie aiguë myéloïde
Leucémies chroniques :
LMC : leucémie myéloïde chronique
LMM : leucémie myélomonocytaire chronique juvénile. | Enfants de moins de 15 ans.
Adolescents : 150 à 200 nouveaux cas annuels.
2 à 5 ans.
Adolescents. | Fatigue, douleurs osseuses, ecchymoses, fièvre. | 1 cancer sur 3 chez l’enfant.
29% des nouveaux cas diagnostiqués chez les moins de 15 ans.
90% des cas.
80% des leucémies aigues
20% des leucémies aigues.
10% des leucémies. |
Lymphomes :
Hodgkinien
Non Hodgkinien |
Adolescents
Enfants de moins de 15 ans, pic à l’âge de 10 ans.
| Adénopathies fermes indolores, toux, sueurs nocturnes. | 10 à 12% des cancers pédiatriques. |
Tumeurs cérébrales :
Médulloblastome Gliome Ependymome Méningiome … | Tout âge. | Céphalées matinales, vomissements, troubles neurologiques. | Première cause des cancers pédiatriques solides.
2e cause des cancers pédiatriques.
500 nouveaux cas annuels.
Localisation : 90% cerveau 10% : moelle épinière.
|
Neuroblastome | 50% des diagnostics chez les moins de 1 an.
90%, avant l’âge de 5 ans. | Masse abdominale, troubles neurologiques. | 2e tumeur solide la plus fréquente après les tumeurs cérébrales.
Souvent métastatique lors du diagnostic. |
Néphroblastome
Tumeur de Wilms | 1 à 6 ans. | Masse abdominale
Hématurie. | 5 à 14% des cancers pédiatriques. |
Sarcomes
Rhabdomyosarcome | Pic entre 2 et 5 ans. | Atteinte des tissus mous. | 8% des cancers chez l’enfant.
60 à 70% des cas de sarcomes.
|
Ostéosarcomes
Sarcome d’Ewing | Adolescents | Douleur osseuse localisée, parfois tuméfaction. |
|
Rétinoblastomes | Avant l’âge de 5 ans. | Leucocorie. Strabisme. | Souvent génétique (mutation RB1).
Rare.
Bon pronostic si détecté tôt. |
Mélanomes | Adolescents. | Naevus suspect, qui change d’aspect ou qui saigne. | Rares chez l’enfant : < 1% des cancers pédiatriques.
Agressifs chez les adolescents atteints de xeroderma pigmentosum. |
Chez les enfants, les cancers les plus courants sont les leucémies, les tumeurs cérébrales et les lymphomes, tandis que chez les adolescents, ce sont les lymphomes, les tumeurs cérébrales et les leucémies qui arrivent en tête.
La moitié des cancers de l’enfant survient avant l’âge de 5 ans, rarement dès la naissance.
La nature des cancers varie avec l’âge.
Symptômes d’alerte à ne pas banaliser :
Symptômes généraux persistants :
Parmi les symptômes généraux pouvant masquer les signes de cancer, on retrouve :
- Une fatigue inhabituelle, hors infection récente.
- Une fièvre prolongée ou récurrente sans cause identifiable et non améliorée par les traitements habituels.
- Un amaigrissement, une anorexie ou un ralentissement staturo-pondéral.
Symptômes localisés :
Les principaux symptômes localisés à relever sont :
- Les douleurs articulaires ou osseuses nocturnes rebelles aux antalgiques.
- Les signes neurologiques suivants : céphalées matinales, vomissements, troubles de la marche ou du comportement, chutes, crise d’épilepsie.
- Les masses palpables : abdominales (rate, rein, foie…), osseuses, ganglionnaires (adénopathies axillaires, cervicales…).
- Les signes ORL atypiques : otites à répétition ou persistantes, stridor, obstruction nasale unilatérale prolongée.
- Des troubles visuels ou une tache blanche dans la rétine (Leucocorie).
- Les signes classiques d’anémie, de leucopénie ou de thrombopénie.
- Une puberté précoce ou tardive.
Chez l’enfant, les signes d’appel du cancer sont variables, parfois discrets et souvent attribués aux maladies bénignes de la petite enfance.
Dans la plupart des cas, c’est la combinaison des symptômes ou leur persistance au-delà de 15 jours qui oriente vos hypothèses diagnostiques.
Urgences oncologiques pédiatriques à connaître :
Certains signes évoquent des complications graves relevant de l’urgence vitale ou fonctionnelle et exigent une orientation immédiate.
Tableau récapitulatif des urgences oncopédiatriques :
Urgences pédiatriques :
| Causes : | Signes cliniques : | Conduite à tenir : |
Syndrome cave supérieure : | Obstruction partielle ou totale de la VCS :
Masse médiastinale (lymphome T ou leucémie lymphoblastique T). | Dyspnée, toux sèche, orthopnée. Turgescence des jugulaires. Œdème facial, cervical, bras. Stridor, voix rauque.
Risque de compression trachéale = urgence vitale. | Éviter le décubitus dorsal. Oxygénothérapie, surveillance rapprochée. Imagerie thoracique en position semi-assise. Biopsie ou ponction différée si détresse. |
Syndrome de masse abdominale | Masse abdominale palpable > tumeur de Wilms, neuroblastomes, lymphomes abdominaux ou tumeurs germinales. | Masse abdominale dure, indolore.
Constipation ou vomissements. Anorexie, amaigrissement. Compression veineuse/urinaire possible.
| Échographie abdominale en première intention. Scanner abdomino-pelvien. NFS, LDH, urée, créatinine, urines (catécholamines).
Orientation en oncopédiatrie. |
Hyperleucocytose : | Urgence spécifique aux leucémies aigues : LAM et LAL B avec hyperleucocytose extrême.
Leucocytes > 100 000/ mm3.
Présence de blastes.
Ils deviennent rigides, adhérents, et bouchent la microcirculation. | Neurologiques : céphalées, somnolence, convulsions, confusion, troubles visuels, HTIC.
Respiratoires : dyspnée, désaturation, infiltrats pulmonaire, hypoxie.
Priapisme, troubles de la conscience.
Risques : Hémorragie cérébrale, ischémie.
| Hospitalisation en SI ou en oncopédiatrie, en urgence.
Surveillance continue avec accès rapide à la réanimation.
Mesures de réduction des risques en attendant le typage définitif de la leucémie.
Hydratation intensive pour prévenir le syndrome de lyse tumorale et favoriser l’élimination des blastes.
Diurétiques si besoin, avec bilan ionique, urée, créatinine.
Leucaphérèse ou chimiothérapie cytoréductrice immédiate.
Imagerie cérébrale si signes neuro (scanner, IRM = Rech œdème ou hémorragie cérébrale).
|
Compression médullaire : | Compression aiguë ou progressive de la moelle épinière :
Tumeurs vertébrales, paravertébrales ou métastatiques : neuroblastome, sarcome d’Ewing, lymphome, leucémie. | Douleurs rachidiennes, souvent nocturnes. Boiterie, raideur du dos.
Troubles moteurs : faiblesse, paralysie. Troubles sensitifs.
Troubles sphinctériens. | IRM médullaire en urgence. Hospitalisation immédiate. Décompression chirurgicale ou corticothérapie. |
Pour résumer :
« Orienter sans délai si suspicion de … »
Syndrome cave supérieur
Syndrome de masse abdominale
Compression médullaire
Hyperleucocytose avec signes neurologiques associés.
Démarche diagnostique du médecin traitant :
En tant que médecin généraliste, vous êtes un acteur clé du parcours de soins.
Votre rôle est crucial dès les premières consultations.
Votre démarche clinique, basée sur un recueil de données complet, est essentielle.
Observation clinique minutieuse :
Votre interrogatoire doit être complet et l’observation clinique, minutieuse.
Cette rigueur clinique vous permet de :
- Suivre l’évolution des signes dans le temps.
- De mettre en évidence la répétition anormale des motifs de consultation.
- Rechercher des antécédents familiaux de cancers pédiatriques.
Tout tableau clinique persistant, inexpliqué, inhabituel ou évolutif, même modéré, doit alerter et motiver une exploration rapide.
Examens de première intention :
Les examens à prescrire en première intention dépendent du contexte (à interroger lors de l’interrogatoire). Quel type de cancer suspectez-vous ?
En règle générale, il est recommandé de prescrire :
- Une analyse sanguine pour évaluer les NFS, plaquettes, CRP, VS, LDH, ionogramme, fonction rénale, fonction hépatique (transaminases)…
- Une analyse urinaire à la bandelette, éventuellement complétée par un ECBU pour rechercher les signes d’hématurie. On peut également mesurer les catécholamines en cas de suspicion de neuroblastome.
- Des examens d’imagerie : échographie abdominale ou cervicale, radiographies ciblées (osseuses), scanner ou IRM cérébrale…
Ces examens peuvent suffire à motiver une orientation spécialisée urgente.
Orientation spécialisée rapide :
En cas de doute, de bilan évocateur, d’évolution anormale, de persistance des symptômes à 15 jours ou de tableau clinique aigu, vous devez ;
- Orienter l’enfant vers les urgences pédiatriques.
- L’adresser à une équipe dédiée avec laquelle vous collaborez étroitement : pédiatre, oncopédiatre, onco-généticien (surtout en présence d’un terrain familial), néphrologue, ophtalmologue, neurologue …
- Contacter un centre régional référent en cancérologie pédiatrique si nécessaire.
Le rôle du généraliste dans le parcours de soins :
Lorsque vous suspectez ou diagnostiquez un cancer, votre première mission est d’expliquer :
- La maladie aux parents et à l’enfant.
- Les traitements et leurs effets indésirables.
- Les examens à réaliser et leur but.
- Les différentes étapes à franchir de l’annonce du diagnostic au suivi post-traitement.
- Les chiffres clés pour rassurer sans banaliser ou dramatiser.
Votre deuxième mission consiste à
- Coordonner le parcours de soins.
- Collaborer étroitement avec l’équipe pluridisciplinaire spécialisée qui s’occupera de votre petit patient.
- Faire le lien avec l’hôpital, les centres de référence, le réseau de soins, et les différents intervenants extérieurs.
Communication avec les parents :
En tant que médecin traitant, vous êtes l’interlocuteur privilégié de vos patients et des parents.
Face à la maladie, surtout quand elle touche l’enfant, les familles paniquent.
Il est important à cette étape de maintenir la relation de confiance que vous avez su nouer avec eux, au fil des ans, et de les soutenir à chaque étape du parcours de soins.
Elle est aussi très utile pour repérer les signaux d’alerte.
Valoriser les observations parentales peut en effet vous aiguiller sur le diagnostic. Lorsqu’un parent évoque un comportement anormal de l’enfant, reformulez pour objectiver vos observations cliniques.
Ces techniques vous permettent de considérer le parent et d’optimiser votre démarche clinique.
Après le traitement : suivi et qualité de vie.
Le suivi post-traitement consiste à :
- Gérer les séquelles physiques (cardiaques, endocriniennes, auditives), cognitives et affectives.
- Organiser l’accès aux soins de rééducation si nécessaire.
- Surveiller les signes de rechute et la croissance de l’enfant.
- Orienter vers les structures de réhabilitation (CAMSP, SESSAD).
- Suivre la vaccination.
- Interroger le lien avec les parents et la fratrie.
- Et soutenir l’enfant dans sa réinsertion scolaire, sociale, physique (activité).
Pour conclure...
Chez l’enfant, un signe persistant ou inhabituel, même mineur, doit être exploré sans délai. Parce que si les cancers de l’enfant sont rares, ils n’en sont pas moins graves.
Les repérer rapidement, c’est peut-être sauver une vie.
Chacune de vos consultations compte pour repérer, orienter et coordonner.
Enfin, la recherche avance. La soutenir, c’est un pas de plus vers la guérison de l’enfant. Mais, parce la recherche avance, vous devez vous tenir à jour et actualiser régulièrement vos connaissances pour sécuriser votre diagnostic et vos prises en charge.
Alors pour repérer tôt, agir vite, mieux orienter l’enfant et préserver sa vie, restez attentif aux signes banals, travaillez en réseau, et participez à l’une de nos actions de formation dédiées aux cancers.
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