L’essentiel en un coup d’œil :
- Adolescents en souffrance psychique : Un ado sur deux est concerné, mais le diagnostic est souvent retardé car les symptômes sont banalisés (repli, irritabilité, troubles du sommeil…). La dépression est sous-détectée.
Repérage clinique et outils validés : L’entretien clinique est central. Des échelles comme l’ADRS, PHQ-A ou BITS permettent de détecter la dépression et d’évaluer la sévérité et le risque suicidaire.
Antidépresseurs : usage encadré et ciblé : La fluoxétine est le seul ISRS ayant une AMM en France chez l’adolescent. Elle est prescrite uniquement dans les formes modérées à sévères, après échec de la psychothérapie.
Suivi étroit et pluridisciplinaire : Surveillance hebdomadaire lors du premier mois, suivi prolongé de 6 à 12 mois, et coordination entre généralistes, psychiatres et professionnels scolaires.
Psychothérapie en première intention : TCC et TIP sont les thérapies de référence. L’antidépresseur n’est prescrit qu’en cas d’échec ou de gravité, toujours dans une stratégie de soins globale.
Le saviez-vous ?
Les bouleversements hormonaux, la pression sociale, scolaire et familiale, le besoin de s’affirmer, de trouver son identité et sa place dans la société entraînent souvent des changements de comportements, que l’on met généralement sur le compte de la « crise d’adolescence », devenue un fourre-tout de symptômes : repli sur soi, isolement social, changement d’apparence ou de comportement, relations conflictuelles ou encore baisse des résultats scolaires.
Or, si traverser le cap de l’adolescence est parfois difficile et douloureux, ces signaux d’alerte peuvent aussi cacher un mal-être bien plus profond, et nécessitent une consultation médicale immédiate.
En France, les troubles psychiques sont la première cause de mortalité chez les 15-35 ans, et un adolescent sur deux est en souffrance psychique — un chiffre en constante progression depuis la pandémie de Covid-19.
Parmi ces troubles, on retrouve la dépression qui, si elle n’est pas détectée et prise en charge précocement, peut lourdement impacter le quotidien de l’adolescent, voire l’amener à commettre l’irréparable.
Quand on parle de dépression, on pense immédiatement aux antidépresseurs. Mais, s’ils sont largement utilisés chez l’adulte, leur usage chez l’adolescent reste complexe et appelle à la prudence, notamment en cas d’idéation suicidaire.
Or, aujourd’hui, on manque cruellement de pédopsychiatres pour initier les traitements chez les jeunes en souffrance : on estime leur nombre à 2 pour 100 000 enfants de moins de 15 ans — une chute considérable depuis 2010.
En tant que médecins généralistes, vous êtes donc devenus un élément clé de la prise en charge et du suivi des adolescents. Un rôle pas facile à endosser, compte tenu des responsabilités qu’il implique.
Pour vous aider à y voir plus clair, nous allons refaire un point sur les recommandations actuelles.
Alors, quelle est la conduite à tenir en présence d’un adolescent souffrant de dépression caractérisée ? Quels antidépresseurs peut-on lui prescrire ? Quelles sont les exigences en matière de surveillance et de suivi ?
C’est ce que nous verrons ci-après.
Dépression de l’adolescent : repères cliniques pour le médecin traitant
Signes caractéristiques :
Les 4 signes caractéristiques de la dépression sont une :
- Tristesse > 1 mois, qui devient permanente, y compris dans les moments de joie.
- Perte d’envie et d’intérêt. (anhédonie),
- Perte d’énergie (fatigue permanente sans rapport avec l’activité).
- Perte d’estime de soi (culpabilité, dévalorisation, sentiment d’inutilité, de ne pas mériter d’attention ou d’amour… avec des discours typique tels que « Je ne vaux rien », « Je suis nul » …).
À cela s’ajoute le retrait social, l’irritabilité, les troubles du sommeil, ceux de l’appétit, la perte ou le gain de poids, les difficultés de concentration, l’agitation ou le ralentissement, et bien sûr, les idées noires.
Dépistage précoce :
Le premier entretien est primordial. Il permet de
- Poser une première hypothèse diagnostique.
- Écarter un problème somatique comme une anémie ou une hypothyroïdie, qui peuvent induire une perte d’énergie et une fatigue.
- Détecter une autre pathologie psychiatrique associée.
Cet entretien clinique doit être mené avec l’adolescent, puis avec les parents, et éventuellement avec les enseignants ou les éducateurs.
Il vous permet de définir le contexte, de rechercher les facteurs de risque (violences, abus, antécédents familiaux, événements de vie), et d’évaluer les comportements suicidaires (antécédents, moyens envisagés, désespoir).
Pour vous aiguiller dans votre diagnostic, vous disposez d’outils de dépistage dédiés tels que l’entretien motivationnel et les questionnaires validés :
- La ADRS (Adolescent Depression Rating Scale), qui est l’outil principal pour détecter un épisode de dépression caractérisée chez l’adolescent.
- Le CDI: inventaire de dépression de l’enfant par l’enfant.
- Le PHQ-A : évaluation de la gravité de la dépression.
- La CES-D(Center for Epidemiologic Studies depression Scale) : échelle d’évaluation adaptée à l’adolescent déficient intellectuel.
- Le Test TSTS-CAFARD (Traumatologie, Stress familial et scolaire, Tabac, Sommeil), pour aborder le risque suicidaire.
- Le BITS Test(Brimades, Insomnie, Stress, Tabac), qui est la version actualisée et la référence pour le dépistage des risques suicidaires en soins primaires.
Ces échelles aident au repérage de la dépression, explorent les facteurs de risque et la gravité de la dépression, mais ne remplacent pas l’évaluation clinique.
Une fois les différents éléments recueillis, vous initiez le traitement, et orientez votre patient vers une psychothérapie appropriée ou vers une hospitalisation.
On ne prescrit pas d’antidépresseur en première intention ni dans les situations d’urgence. En revanche, on peut recourir à d’autres psychotropes, si l’état du jeune patient le justifie.
À noter que le différentiel entre la dépression aiguë, la dysthymie, la bipolarité, et la schizophrénie est à établir.
Risques évolutifs en l’absence de prise en charge :
En l’absence de prise en charge, la pathologie et les symptômes évoluent souvent vers les tentatives de suicide, les troubles anxieux, les TCA, l’addiction et la rupture scolaire ou sociale.
Quand envisager un traitement antidépresseur ?
Indications principales :
Les antidépresseurs sont envisagés dans les cas suivants :
- Épisode dépressif modéré à sévère (caractérisé), selon le DSM-5 (Manuel Diagnostique et Statistique des troubles mentaux).
- Échec d’une psychothérapie bien menée depuis au moins 6 à 8 semaines.
- Risque suicidaire ou altération sévère du fonctionnement.
Cas nécessitant un avis spécialisé immédiat :
Certains symptômes ou éléments de l’anamnèse demandent un avis spécialisé et/ou une hospitalisation. Il s’agit :
- Des idées suicidaires actives et des comportements à risque.
- Des antécédents psychiatriques familiaux (bipolarité, schizophrénie).
- De la résistance à plusieurs lignes thérapeutiques.
Quel antidépresseur prescrire chez l’adolescent ?
Recommandations officielles :
La Fluoxétine :
Il s’agit du seul antidépresseur ISRS considéré comme ayant un rapport bénéfices/risques satisfaisant dans le traitement de la dépression modérée à sévère chez l’adolescent. C’est le seul à avoir une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) en France, pour traiter la dépression des enfants âgés de 8 à18 ans.
La Fluoxétine est donc le traitement de choix, mais son recours se fait de manière raisonnée, et avec un suivi strictement encadré.
L’évaluation individualisée du risque suicidaire est capitale, et conditionne la prescription de la Fluoxétine chez les mineurs. Les bénéfices attendus (efficacité) doivent toujours surpasser les risques (notamment suicidaires).
La Sertraline et l’Escitalopram :
La Sertraline est une alternative possible, surtout en cas de TOC ou d’anxiété associés.
La Sertraline et l’Escitalopram sont prescrits en seconde intention, dans certains cas, et sous suivi médical spécialisé strict.
Ils n’ont pas d’AMM pour la dépression.
Les autres antidépresseurs :
Les autres antidépresseurs tels que la Paroxétine, la Venlafaxine, les Tricycliques ou la Mirtazapine ne sont pas recommandés, voire sont contre-indiqués, pour traiter la dépression chez l’adolescent, en raison du risque accru d’effets indésirables, notamment comportementaux ou suicidaires, et par manque d’efficacité.
Prescription initiale :
Idéalement, la prescription initiale doit être rédigée par un pédopsychiatre.
Mais, son accès étant très difficile, vous pouvez vous tourner vers un autre professionnel de santé expérimenté.
En tant que généraliste, vous assurez ensuite le relais thérapeutique, surtout chez les post-pubères.
Posologies et mise en route :
On débute toujours le traitement par un faible dosage, généralement une demi-dose, la ou les 2 première(s) semaine(s), pour s’assurer de la tolérance au médicament.
Puis, si la molécule est bien tolérée, on augmente progressivement la dose jusqu’au dosage minimal efficace.
Consentement, éducation et encadrement familial :
Consentement :
Dans un souci de transparence, et pour respecter les exigences légales, vous informez les parents, ou toute autre personne détentrice de l’autorité parentale, des traitements mis en place, des bénéfices attendus, et des risques que peuvent induire la prise en charge.
C’est la condition essentielle pour obtenir leur consentement éclairé.
Éducation et cadre :
Concernant l’adolescent, en plus de l’écoute active et bienveillante, et du soutien émotionnel, vous l’informez sur le mécanisme d’action, la durée d’effet, les effets secondaires des médicaments, généralement transitoires, et insistez sur le fait qu’ils n’entraînent pas d’addiction, et qu’ils ne doivent pas être arrêtés brutalement.
Enfin, vous lui rappelez la nécessité de s’engager dans le suivi (rendez-vous, adhésion).
Suivi et surveillance médicale en médecine générale :
Si la prescription est réservée aux pédopsychiatres et aux psychiatres expérimentés, vous pouvez intervenir en premier recours pour conseiller et orienter l’adolescent en souffrance, et bien sûr, assurer son suivi.
Suivi initial rapproché :
Le suivi initial doit être rapproché.
Il comporte une évaluation hebdomadaire des signes d’aggravation et des effets secondaires, le premier mois : risque suicidaire, agitation, troubles du comportement (notamment, l’hostilité), troubles du sommeil, céphalées, nausées …
Après 4 semaines d’observance de traitement, vous en mesurez l’efficacité.
Durée et arrêt du traitement :
Une fois l’état de votre patient stabilisé, vous maintenez le traitement 6 à 12 mois, puis vous le diminuez progressivement sur plusieurs semaines, sous surveillance, si l’état est toujours stable.
Rôle central de la psychothérapie dans le traitement intégré :
Chez l’enfant et l’adolescent, la psychothérapie est le recours de référence en cas d’épisode de dépression sévère. Ce n’est qu’en cas d’échec que l’antidépresseur est prescrit.
Les recommandations actuelles sont de :
- Proposer la psychothérapie dès la pose du diagnostic.
- L’associer à l’antidépresseur, dans les formes sévères de dépression (ou en cas d’échec ou de manque d’efficacité de la psychothérapie), pour améliorer l’efficacité à long terme.
- Impliquer l’entourage : formation aux signes de rechute, soutien à la régularité du suivi.
Les psychothérapies de référence dans la dépression de l’adolescents sont la Thérapie Cognitivo-Comportementale (TCC) et la Thérapie interpersonnelle (TIP).
Mais, ils en existent d’autres, et on la choisit en fonction du contexte et des besoins du jeune.
On retrouve essentiellement la :
- TCC (baisse des symptômes dépressifs et anxieux, modification des schémas de pensées négatifs).
- TIP (difficultés relationnelles, travail sur les causes de la dépression).
- Thérapie systémique
- Le soutien psychologique individuel.
- La thérapie de soutien ou existentielle-humaniste (expression des émotions).
- La thérapie psychodynamique (+/- psychanalyse : lien entre les difficultés et l’histoire personnelle et familiale).
- L’EMDR (si traumatisme associé) …
Prise en charge pluridisciplinaire et hospitalisation si nécessaire :
Dans les cas complexes, une hospitalisation doit être envisagée, notamment en présence de :
- Risque suicidaire majeur.
- Instabilité psychique importante.
- Refus du traitement ou isolement social extrême.
Une coordination entre généralistes, pédopsychiatres, psychologues et infirmiers scolaires peut également être nécessaire pour accompagner le jeune en souffrance.
Vous pouvez également travailler en partenariat avec l’Éducation nationale et les services sociaux si besoin.
Alternatives et compléments non médicamenteux :
Pour compléter la prise en charge, vous disposez d’autres outils thérapeutiques tels que :
- L’activité physique régulière.
- Les activités créatrices ou de loisirs : chant, théâtre, musique…
- La médiation animale, l’équithérapie, les séjours en pleine nature.
- Les interventions de relaxation/mindfulness.
- L’aménagement scolaire ou le suivi médico-scolaire.
- Le soutien parental individualisé ou en groupe.
Ressources et outils à disposition du généraliste :
Et, pour vous guider dans votre pratique, différentes ressources sont mises à votre disposition :
- Questionnaires validés MDQ, PHQ-A.
- Fiches HAS (recommandations sur les troubles dépressifs chez l’enfant et l’adolescent).
- Réseaux territoriaux en santé mentale, CMP, CMPP.
- Plateformes d’écoute : Fil Santé Jeunes (qui dispose d’un chat en direct avec un psychologue), associations spécialisées, groupes de paroles pour jeunes…
Pour conclure...
La dépression chez l’adolescent est une pathologie fréquente et potentiellement grave.
Son dépistage combine entretien clinique, questionnaires de repérage, évaluation du retentissement, et surveillance accrue des signes d’aggravation et de la situation globale de l’adolescent.
En tant que médecin généraliste, vous êtes un maillon essentiel dans le dépistage et la surveillance, mais aussi dans la coordination des soins.
Si la psychothérapie est le recours de référence pour soigner la dépression du jeune, elle peut être associée à un antidépresseur quand, seule, elle est inefficace.
Mais, quand il est prescrit, l’antidépresseur est toujours intégré dans une stratégie globale de soins, où la surveillance rapprochée du risque suicidaire est votre priorité.
Alors, si vous souhaitez actualiser vos connaissances ou acquérir de nouveaux outils pour repérer précocement la dépression chez l’adolescent, améliorer la prise en charge des jeunes en souffrance, et le travail en réseau, n’hésitez pas à vous inscrire à l’une de nos formations dédiées à la santé mentale.
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ANSM
Vidal
HAS
Ameli
« Santé mentale : briser le tabou » et « Santé mentale : nos ados en danger », émissions du 6 mai 2025, M6 (Replay disponible).