L’essentiel en un coup d’œil :
Une pathologie complexe et sous-diagnostiquée : le trouble bipolaire touche 1 à 2 % de la population et reste fréquemment confondu avec la dépression unipolaire en médecine générale.
Des symptômes variés et changeants : alternance d’épisodes maniaques, dépressifs, mixtes ou hypomaniaques, avec un risque élevé de suicide sans traitement adapté.
Le rôle clé du médecin généraliste : il intervient au repérage (grâce à des outils comme le MDQ ou HCL-32), au suivi à long terme, et à la coordination avec le psychiatre.
Traitement à vie et suivi rigoureux : la stabilisation repose sur des médicaments (lithium, antipsychotiques…) et un accompagnement psychoéducatif.
Importance du lien avec le patient et son entourage : l’adhésion au traitement et la prévention des rechutes passent par une bonne information et l’implication de la famille.
Le saviez-vous ?
En France, la bipolarité affecte jusqu’à 1,6 million de personnes — chiffre sous-estimé par le retard de diagnostic qu’entraîne ce trouble singulier où les phases dépressives, les phases maniaques et les périodes d’accalmie se succèdent.
Vivre avec un trouble bipolaire — ou aux côtés d’une personne bipolaire — est un défi de chaque instant. Les brusques changements d’humeur bouleversent le quotidien du patient, mais aussi celui des proches, qui peuvent finir par se lasser de cet ascenseur émotionnel.
Pourtant, stabiliser la vie affective, sociale et professionnelle du patient contribue fortement à équilibrer la maladie.
Bien sûr, les médicaments ont une place importante dans l’arsenal thérapeutique. Encore faut-il qu’il soient tolérés et acceptés pour éviter le décrochage thérapeutique. Surtout quand les résultats tardent à venir ou que leurs effets secondaires deviennent envahissants.
Heureusement, en accompagnant, soutenant, éduquant et impliquant votre patient à chaque étape de son parcours de soins, vous l’aidez à comprendre, accepter, avancer et intégrer pleinement la maladie dans son quotidien.
Alors quel est précisément votre rôle dans cette prise en charge, le suivi et la coordination ? C’est ce que nous verrons ci-après.
Créer une alliance thérapeutique durable
Une fois le diagnostic établi et le traitement prescrit par le psychiatre, c’est souvent à vous qu’il revient de surveiller l’équilibre thymique et de prévenir les rechutes, grâce à une approche globale, coordonnée, bienveillante et réaliste.
En premier lieu, vous veillez à ce que votre patient connaisse les signes annonciateurs d’une bascule vers l’une ou l’autre des phases de sa maladie, pour qu’il puisse vous consulter rapidement.
Valoriser sa parole, ses compétences, l’impliquer dans sa prise en charge et les décisions est crucial pour faciliter son adhésion au programme de soins et au suivi, qui doit être régulier, y compris dans les phases de stabilisation.
Ces consultations programmées vous permettent d’anticiper les rechutes ou d’orienter rapidement votre patient vers le psychiatre référent, pour réajuster la stratégie thérapeutique.
Mais, pour que cette approche collaborative avec votre patient soit efficace, la première chose à faire est de construire une relation de confiance avec lui, surtout en période de stabilité où il sera plus accessible et la communication, facilitée.
Assurer la continuité du traitement médicamenteux
Les thymorégulateurs, les antipsychotiques et les antidépresseurs sont les principaux traitements prescrits pour contenir les symptômes du trouble bipolaire.
Et chacun a son lot d’effets indésirables.
En tant que médecin généraliste, une de vos missions est d’évaluer l’efficacité et la tolérance des traitements mis en place, et d’expliquer les effets possibles, la balance bénéfices/risques, les résultats attendus et leur rôle sur la prévention des rechutes.
Vivre avec des fluctuations de l’humeur est déjà difficile. Alors si les traitements prescrits ajoutent de l’inconfort (troubles digestifs, dyskinésies), font prendre 10 kg ou mettent la libido en berne, certains patients peuvent être tentés de les arrêter, surtout en phase de stabilisation où ils leur semblent inutiles.
Négocier la poursuite du traitement avec votre patient n’est pas toujours évident : vous devez toujours naviguer entre réassurance, quand les symptômes sont simplement inconfortables, et orientation, quand les effets indésirables sont invalidants ou en cas de non-observance prolongée.
Il faut souvent plusieurs consultations et un suivi au long cours pour renforcer l’adhésion au traitement.
Préserver les rythmes de vie et l’hygiène de stabilité
Nous l’avons évoqué, pour que les périodes de stabilisation perdurent, l’environnement personnel, social et professionnel de votre patient doit être stable.
Pour ce faire, il est généralement nécessaire d’apporter quelques modifications dans l’hygiène de vie et la gestion des émotions.
Sommeil, activité physique, régularité
La chronobiologie joue un rôle important dans la maladie.
Rythme veille/sommeil :
Stabiliser les rythmes veille/sommeil est l’une des clés de la prise en charge. En effet, on sait aujourd’hui que les troubles du sommeil —insomnies, hypersomnies— peuvent créer un déséquilibre des rythmes circadiens.
En général, ces altérations veille/sommeil sont amplifiées lors des épisodes aigus et prédisent souvent les rechutes.
Changement de saison :
Les patients bipolaires sont également plus sensibles aux changements de saisons et à leur rythme. Ainsi, en hiver, où tout est en sommeil, on retrouvera plus fréquemment les épisodes de dépression, tandis que l’été aura tendance à redynamiser et exalter l’humeur de votre patient.
Postes alternés et décalage horaire :
Pour les mêmes raisons, les postes alternés en nuit/jour ou les décalages horaires trop fréquents sont déconseillés.
Votre rôle est d’être attentif aux signes de bascule, mais aussi de travailler avec votre patient sur l’importance du sommeil et le respect des rythmes.
Pour maintenir un rythme de vie structuré, vous pouvez définir une routine conjointement avec votre patient :
- Fixer des horaires de lever et coucher.
- Réduire les temps d’écran, notamment dans les 30 minutes qui précèdent le coucher.
- Définir des rituels de sommeil : bain chaud, relaxation, lecture, musique douce…
- Encourager à la reprise d’une activité physique régulière, qui va favoriser le sommeil et agir sur le poids.
Gestion du stress et hygiène numérique
Parmi les facteurs environnementaux révélateurs du trouble bipolaire, on retrouve le stress, qu’il faut donc canaliser.
Pour cela, différentes solutions peuvent être proposées à votre patient : hypnose, techniques de respiration simple, relaxation, cohérence cardiaque, méditation…
Plusieurs outils sont disponibles : Petit bambou, Cohérence, Calm, RespiRelax …
Sensibilisez-le à l’usage excessif des écrans et des réseaux sociaux, notamment en période de fragilité thymique.
Intégrer l’évaluation systématique du risque suicidaire
L’évaluation du risque suicidaire doit systématiquement être intégrée à vos consultations. Interrogez vos patients sur les idées noires, même en phase de stabilité, permet de réagir vite et parfois de sauver des vies. Ne sous-estimez jamais cet élément dans vos échanges.
Repérez les facteurs aggravants : isolement, antécédents, comorbidités anxieuses.
Et élaborez un plan de crise pour chacun de vos patients à risque. Celui-ci doit mentionner clairement la procédure à suivre en cas de risque suicidaire identifié : personne de confiance, numéro d’urgence, consignes écrites.
Ce plan de crise doit être individualisé, coconstruit avec le patient, régulièrement réévalué et actualisé et mis à la disposition de l’entourage et des soignants qui interviennent au domicile du patient.
À noter que les drogues et autres excitants comme le cannabis ou l’alcool opèrent comme des catalyseurs : ils peuvent déclencher la maladie ou les rechutes et favoriser les passages à l’acte. |
Favoriser l’autonomisation et l’autosurveillance
Un autre pilier du succès de la prise en charge est d’autonomiser et impliquer votre patient dans sa surveillance et son suivi.
Pour cela, vous pouvez lui conseiller quelques outils pratiques tels que le journal d’humeur ou certaines applications de suivi validées (ex : SIMPLe+, Mood Tracker).
Le but étant de repérer précocement tout signe annonciateur de déséquilibre : agitation, troubles du sommeil ou encore désorganisation, afin de réagir rapidement.
Soutenir l’entourage dans son rôle de sentinelle
L’épuisement des proches peut mener à des ruptures douloureuses. Et faire basculer vos patients. Alors pour éviter des fins dramatiques, soutenir l’entourage est primordial.
Informez les proches sur :
- Les signes d’alerte : accélération du discours, retrait social…
- La conduite à tenir.
- Les postures à éviter : attitudes stigmatisantes ou infantilisation, dramatisation…
- Les ressources mises à leur disposition : UNAFAM, groupes de parole…
Un entourage informé et formé devient un allié de poids pour maintenir l’adhésion de votre patient dans le soin.
Accompagner la vie sociale et professionnelle
Si des relations stables et apaisées avec l’entourage est crucial, stabiliser la vie professionnelle du patient, l’est tout autant.
Pour que l’insertion ou la réinsertion professionnelle soit efficace, il faut tenir compte de ses capacités fonctionnelles, de ses limites mais aussi des contraintes liées à sa prise en charge.
Dans le cas où une reprise du travail ou un reclassement est envisageable, rapprochez-vous de la médecine du travail pour optimiser le suivi et anticiper les rechutes.
Dans le cas contraire, il faut impérativement penser à des solutions alternatives pour ne pas laisser votre patient déjà stigmatisé, se marginaliser.
Orientez-le vers les professionnels et structures d’aide adaptés (assistant social, MDPH) et assistez-le dans ces démarches.
Mobiliser les relais au bon moment
En tant que médecin traitant, vous êtes l’interlocuteur privilégié de ces patients fragiles. Comme vous êtes aussi décisionnaire de la prise en charge, vous ne savez pas toujours quand réorienter votre patient.
Quand la situation se complexifie, notamment au moment de la bascule, sachez que vous n’êtes pas seul. Appuyez-vous sur le psychiatre référent en cas de :
- Doutes.
- Signes de rechutes.
- Décompensation sévère.
- Effets secondaires importants des médicaments.
- Rupture de soins.
- Idées suicidaires.
En dehors de l’urgence, construisez votre réseau et collaborez avec les différents acteurs qui le composent :
- CMP.
- Psychiatre référent et de liaison.
- Psychologues.
- Infirmiers en psychiatrie.
- Travailleurs sociaux.
Enfin, transmettez les informations utiles et les références des dispositifs disponibles :
- Mon soutien psy.
- Le numéro national Prévention suicide : 3114
- Les associations patients (ex : Argos 2001, UNAFAM).
- La Maison Perchée qui propose un accompagnement des bipolaires par la pair-aidance : partage d’expérience et entraide entre patients afin de déstigmatiser la maladie et d’apprendre à la gérer.
- Les Clubhouse : structures qui aident à l’insertion sociale et professionnelle.
- Centres Experts Troubles Bipolaires.
- Les MOOC dédiés à la santé mentale (ex : FondaMental).
Pour conclure...
Le trouble bipolaire ne se guérit pas mais il se stabilise.
Pour apprendre à vivre avec lui, votre patient doit le connaître, le comprendre, l’anticiper, le canaliser.
Et c’est vous, médecin traitant, qui l’aidez à composer avec la maladie et à traverser les crises, grâce à l’alliance thérapeutique, indispensable pour assurer la continuité des soins, alerter, prévenir, collaborer, renforcer l’adhésion aux soins et préserver la qualité de vie de votre patient.
Si ce type de prises en charge vous intéresse et si vous souhaitez développer votre expertise, nos actions de formation dédiées à la santé mentale peuvent vous aider à franchir ce cap.
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