prevention des addictions

Addictions en médecine générale | Stratégies de repérage et de prévention

L’essentiel en un coup d’œil :

  • Les addictions sont fréquentes, multiformes et souvent invisibles : elles concernent aussi bien les substances (alcool, drogues, médicaments) que les comportements (jeux, écrans…).

  • Le rôle du médecin généraliste est central : repérage précoce, accompagnement sans jugement, mobilisation des outils de dépistage et coordination du parcours de soins.

  • Des outils simples existent pour objectiver la dépendance (AUDIT, Fagerström, CAST…), faciliter l’entretien et enclencher la prise de conscience.

  • La prise en charge est pluridisciplinaire : évaluation personnalisée, plan de soin progressif, aides médicamenteuses, soutien psychologique, travail en réseau avec CSAPA, CMP, CJC…

  • Agir dès l’adolescence est essentiel : intégrer la prévention dans les consultations courantes permet d’anticiper les usages à risque et de limiter les dommages.

Le saviez-vous ?

Un verre pour faire plaisir, un joint pour se détendre, une ligne de coke pour essayer, un comprimé d’oxycodone pour soulager…  Puis 2, puis 3 et très vite, on ne compte plus.

Nul n’est à l’abri de voir sa consommation lui échapper et sa vie basculer.

L’addiction n’a ni genre, ni âge, ni visage. Elle peut frapper partout, à tout moment.

Ses formes sont multiples, ses conséquences sanitaires majeures.

En tant que professionnels de premier recours, les médecins généralistes occupent une place centrale dans leur repérage et leur prise en charge. Leurs consultations courantes sont l’occasion de libérer la parole et de briser les tabous.

Loin des idées reçues que l’on peut avoir, les addictions concernent des patients souvent intégrés socialement, et qui ignorent eux-mêmes avoir franchi les seuils de danger.

Alors, comment repérer et prendre en charge les conduites addictives et quand orienter vos patients ?

C’est ce que nous verrons ci-après.

Définir les conduites addictives en médecine générale

De la consommation de substances licites et illicites aux comportements dangereux pour sa santé, les conduites addictives sont surtout à risque quand l’usage n’est plus contrôlé, qu’il est répété, ou qu’il dépasse les recommandations de santé.

Les chiffres ci-dessus illustrent l’ampleur de l’addiction en France.

 

 Les conduites addictives, c’est :

  • 8 jeunes de 17 ans sur 10 qui ont déjà consommé de l’alcool (64% des élèves de 3ème).
  • 23,6% des 18-75 ans qui dépassent les repères de consommation d’alcool (> deux verres par jour et pas tous les jours).
  • 1 cancer sur 3 causé par le tabac.
  • 30% des jeunes de 17 ans qui ont expérimenté le cannabis.
  • Un nombre de passages aux urgences pour usage de cocaïne qui a triplé entre 2010 et 2022.
  • 1 enfant sur 1 000 qui nait avec un syndrome d’alcoolisation fœtal.
  • Environ 177 000 personnes qui ont reçu un médicament pour leur dépendance aux opioïdes (MSO) en 2019.

  1. Addictions avec substance :

Les principales addictions aux substances concernent :

  • L’alcool.
  • Le tabac.
  • Le cannabis et les autres drogues illicites : cocaïne, héroïne, ecstasy, MDMA, amphétamines, crack, GHB/GBL…
  • Les opiacés et les médicaments psychotropes (BZD, anxiolytiques, antidépresseurs, antalgiques).
  • La Kétamine.
  • Le protoxyde d’azote (gaz hilarant).

Elles peuvent être croisées et associées à des addictions comportementales, augmentant considérablement les risques.

Aujourd’hui, il faut tenir compte de l’évolution des substances disponibles et des nouveaux modes de consommation.

Les nouvelles drogues de synthèse :

Ces nouveaux produits de synthèse (NPS) sont des substances psychoactives conçues en laboratoire, qui imitent les effets des substances existantes comme le cannabis, la cocaïne, l’ecstasy ou les hallucinogènes.

Elles coutent moins chères, sont facilement accessibles (dark web, Snapchat, réseaux sociaux ou circuits parallèles tels que les smartshops, les festivals…) et échappent au cadre légal.

On estime que 80 à 100 nouveaux produits de synthèse, dont les effets sont jusqu’à 100 fois plus puissants que leur version classique, apparaissent en France chaque année.

On les trouve sous forme liquide pour cigarettes électroniques, poudres, cristaux, gélules, comprimés, herbes pulvérisées (faux cannabis), sels de bain, encens…

 

Les nouvelles pratiques de consommation :

Bien que la consommation de groupe existe toujours, notamment dans un contexte festif (soirées techno, before avec protocole multi-substances), la pratique en solo fait de plus en plus d’adeptes.

Par ailleurs, le chemsex, pratique que l’on retrouvait essentiellement dans les milieux HSH, se démocratise.

Enfin, un nouveau produit de synthèse inquiète : le PTC, encore appelé Buddha Blue.

 Focus sur le PTC (Pète Ton Crâne) :

 Cette nouvelle substance de synthèse, 200 fois plus puissante que le cannabis, a un potentiel addictif important qui rend la désintoxication très difficile.

Elle s’inhale essentiellement par vapotage dans sa forme liquide, mais peut être prise par voie nasale quand elle est en poudre.

Encore méconnue, elle est parfois considérée comme la « nouvelle drogue du violeur » à cause de la rapidité de ses effets, de la désinhibition qu’elle entraine et de son caractère indétectable.

 

  1. Addictions sans substance :

Les addictions comportementales, elles aussi reconnues médicalement, peuvent être dangereuses pour la santé. On retrouve essentiellement :

  • Les jeux de hasard et d’argent.
  • L’usage excessif des écrans, jeux vidéo, réseaux sociaux = cyberdépendance.
  • Les achats compulsifs.
  • Les troubles du comportement alimentaire, parfois associés à la prise de laxatif et aux vomissements (boulimie…).
  • L’addiction au travail (workaholisme) ou au sport (bigorexie).
  • Les comportements sexuels à risque (chemsex).

 

  1. Signes cliniques d’appel :

Les principaux signes cliniques d’appel sont :

  • La perte de contrôle.
  • La poursuite malgré les conséquences négatives.
  • Le Craving (besoin irrépressible).
  • Les symptômes de manque.

Repérer précocement en consultation

Les consommations de tabac, d’alcool ou de drogues sont généralement associées à des pathologies, qu’elles causent ou aggravent (cancer du poumon, BPCO, cirrhose…). Elles représentent un enjeu majeur de santé publique.

En tant que médecin traitant, accessible et non-stigmatisant, vous êtes souvent le premier professionnel de santé vers lequel votre patient se tourne pour évoquer son addiction.

En dehors de cette démarche personnelle, vous devez aborder la question des conduites addictives, au moins une fois par an, y compris en consultation de routine.

Ce repérage opportuniste peut déclencher une prise de conscience chez votre patient, être le premier pas vers un changement de comportement et ouvrir la voie au sevrage.

  1. Signes indirects :

Les principaux signes indirects observés sont :

  • Les troubles du sommeil, la fatigue chronique.
  • Les plaintes vagues récurrentes.
  • L’anxiété.
  • L’absentéisme, le décrochage scolaire.
  • L’instabilité émotionnelle.
  • Les conflits familiaux ou professionnels.

 

  1. Outils simples et validés :

Parmi les outils de repérage mis à votre disposition, on retrouve :

  • Les questionnaires AUDIT, DETA et CAGE, qui mesurent la dépendance à l’alcool.
  • Le test de Fagerström qui évalue la dépendance à la nicotine.
  • L’échelle CAST (cannabis).
  • Le questionnaire NIDA Quick Screen (dépistage multi-substances).

 

  1. Posture du soignant :

En tant que médecin de famille, vous êtes l’interlocuteur de confiance.

L’entretien motivationnel, centré sur l’écoute active, l’empathie et l’absence de jugement, est la clé d’une alliance thérapeutique durable.

Évaluer la situation pour personnaliser la prise en charge

L’évaluation initiale comporte au minimum, l’analyse de :

  • La quantité, la fréquence, le contexte de consommation.
  • Le niveau de dépendance, les complications somatiques, psychiatriques, et sociales associées.
  • Les comorbidités psychiatriques fréquentes : troubles anxieux, dépression, troubles de la personnalité.
  • Stade de motivation au changement (Prochaska et DiClemente) : pré-contemplation, contemplation, décision, action, maintien.

En revanche, quelle que soit la nature de la conduite addictive, le parcours de soins proposé doit être coconstruit avec le patient, et doit inclure les partenaires dont les compétences sont requises pour mener à bien ce projet.

Accompagner le patient dans la durée

  1. Plan de soin progressif :

Pour que l’accompagnement s’inscrive dans la durée, le plan de soins doit comporter des objectifs personnalisés, progressifs et réalisables.

  1. Suivi régulier en médecine générale :

Des consultations régulières permettent de consolider l’alliance thérapeutique, de repérer et prévenir les rechutes grâce aux outils de suivi, et de valoriser les progrès, aussi minimes soient-ils.

  1. Aides médicamenteuses :

Bien sûr, vous pouvez recourir aux aides médicamenteuses pour aider votre patient à affronter les symptômes du sevrage :

  • Substituts nicotiniques.
  • Baclofène, nalméfène (alcool) : selon les recommandations.
  • Buprénorphine, méthadone (opiacés), en lien avec un addictologue.

 

  1. Soutien psychologique :

Le soutien psychologique est également très important dans ce type de prises en charge. N’hésitez pas à solliciter et à collaborer avec les structures et les professionnels de votre bassin de vie : psychiatre, addictologue, psychologue libéral, CMP, CJC, CSAPA…

Associations et patients experts :

Pensez aussi à diriger vos patients vers les associations d’usagers santé pairs et les mouvements d’entraide, qui disposent de différentes ressources de soutien :

  • auto-support,
  • écoute sans jugement,
  • groupes de paroles spécifiques,
  • dynamiques citoyennes…

Travailler en réseau et orienter

Repérer les partenaires et spécialistes avec lesquels collaborer : ANPAA, Aurore, CEID, Clémence Isaure, La Passerelle, Oppelia, SOS, Spiritek…

Dans les situations complexes, vous tourner vers ces structures spécialisées peut vous sortir d’une impasse thérapeutique.

Inscrivez-vous dans un réseau d’acteurs spécialisés en addictologie pour éviter l’isolement et optimiser et sécuriser le parcours de soins de vos patients.

Un travail en réseau augmente les chances de succès du sevrage de votre patient.

  1. Dispositifs à mobiliser :

Les principaux dispositifs à mobiliser sont les :

  • CSAPA (Centres de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie),
  • CJC (Consultations Jeunes Consommateurs),
  • CAARUD (centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues),
  • ELSA (Équipes de Liaison et de Soins en Addictologie),
  • Lignes d’écoute : Drogues Info Service, Alcool Info Service.

 

  1. Coordination ville-hôpital :

Dans les cas de sevrages complexes, de situations avec poly-addictions ou de vulnérabilités psychiatriques ou sociales majeures, il est indispensable de mettre en place un accompagnement pluridisciplinaire et de coordonner le parcours de soins.

 

  1. Approche sociale et médico-sociale :

Souvent sous-estimée, la prise en compte de l’environnement social est essentiel (logement, emploi, isolement, précarité, dettes de jeux…).

Le partenariat avec un assistant social est déterminant et doit être inclus dans le programme de soins.

Agir en prévention, dès l’adolescence

Vous pouvez également profiter de vos consultations de routine pour agir en amont en

  • Éduquant les familles et les adolescents sur les risques.
  • Sensibilisant les parents au repérage précoce des signes d’alerte.

Mais aussi en :

  • Intégrant des messages de prévention dans les consultations courantes dès l’entrée au collège.
  • Sensibilisant au mésusage des écrans et à l’alcool festif.
  • Vaccinant et dépistant les VIH, VHB, VHC en cas d’usages à risque (drogue, chemsex).
  • Promouvant l’éducation thérapeutique et la réduction des risques.
  • Collaborant avec la médecine scolaire.

Surmonter les freins du médecin généraliste

Certaines situations peuvent vous freiner :

  • Manque de temps, d’outils, difficulté à aborder certains sujets sensibles.
  • Ambivalence ou découragement face à des profils complexes ou récidivants.
  • Isolement professionnel, manque de formation spécifique.
  • Besoin de dispositifs de soutien (groupe d’analyse de pratique, supervision…).

 
Pour vous aider dans votre pratique, n’hésitez pas à compléter vos formations, à utiliser les ressources mises à votre disposition et à construire un réseau de soutien.

Le site intervenir-addictions.fr regroupe des outils pratiques pour :

–     Aborder les conduites addictives

–     Repérer les usages et les conduites à risque

–     Orienter les patients qui le nécessitent.

Il propose également des annuaires territoriaux et dispense des conseils concrets pour les professionnels de santé.

Pour conclure...

En tant que médecin généraliste, vous êtes un acteur incontournable du parcours en addictologie. En consultation de routine, vous pouvez repérer précocement, soutenir, informer, orienter, et accompagner vos patients dans la durée, en collaborant avec les différents partenaires santé et en mobilisant les ressources locales.

Votre posture bienveillante, fondée sur l’écoute et la coopération interprofessionnelle, est la clé de la réussite du projet de soins que vous coconstruisez avec votre patient.

Si vous n’êtes pas à l’aise pour aborder les conduites addictives avec vos patients ou si vous souhaitez simplement actualiser vos connaissances et acquérir les nouveaux outils de repérage, n’hésitez pas à vous inscrire à l’une de nos formations dédiées à l’addiction.

Enfin, si cet article vous a plu, partagez-le autour de vous.

Pour en savoir plus, n’hésitez pas à consulter notre catalogue de formations DPC.

Sources : 

Santé Publique France

OFDT

MILDECA

HAS

Ameli

Émission « Ça commence aujourd’hui : Nouvelles drogues, kétamine, chemsex : comment prévenir nos ados des risques ? », émission du 13 février 2025, France 2.